Si tu peux voir détruit l'ouvrage de ta vie, Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir, Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties, Sans un geste et sans un soupir,
Si tu peux être amant sans être fou d'amour, Si tu peux être fort sans cesser d'être tendre, Et te sentant haï sans haïr à ton tour, Pourtant lutter et te défendre,
Si tu peux supporter d'entendre tes paroles, Travesties par des gueux pour exciter des sots, Et d'entendre mentir sur toi leurs bouches folles, Sans mentir toi-même d'un mot,
Si tu peux rester digne en étant populaire, Si tu peux rester peuple en conseillant les rois, Et si tu peux aimer tous tes amis en frères, Sans qu'aucun d'eux soit tout pour toi,
Si tu sais méditer, observer et connaître, Sans jamais devenir sceptique ou destructeur, Rêver sans laisser ton rêve être ton maître, Penser, sans n'être qu'un penseur,
Si tu sais être dur sans jamais être en rage, Si tu sais être brave et jamais imprudent, Si tu sais être bon, si tu sais être sage, Sans être moral ni pédant,
Si tu peux rencontrer triomphe après défaite, Et recevoir ces deux menteurs d'un même front, Si tu peux conserver ton courage et ta tête, Lorsque tous les autres les perdront,
Alors les rois, les dieux, la chance et la victoire, Seront à tout jamais tes esclaves soumis, Et ce qui vaut bien mieux que les rois et la gloire, Tu seras un homme, mon fils.
Post-scriptum:
Cette version est la version augmentée, modifiée par la traduction d'André MAUROIS. Pour plus d'informations à ce sujet, je vous invite à consulter l'article "Les deux manières d'être un Homme pour un fils", par Paul JORION dans la revue Quinzaine(s).
Crédits image : couverture de If / Si, André MAUROIS, Scott PENNOR'S, éditions Les Belles Lettres, 2018.
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