Roberto Juarroz, Poésie et création (Poesia y ceation), 1980 (éd. Corti 2010), traduction Fernand Verhesen.
p.11
Peut-on définir la poésie ? Le poème comme organisme incomplet. La parole et le silence. Renoncement de la poésie moderne. Nécessité et intensité de la parole dans le poème. La poésie est reconnaissance de l’absurde et de l’anti-absurde. Le poème devant l’abîme de la condition humaine. La reconnaissance totale du réel. Poésie et philosophie. Disponibilité du poète. Poésie et expérience de la mort. La poésie comme forme périssable et comme présence. Poésie et art. Le poète et sa vision du monde. Poésie, connaissance et sagesse. Le bouddhisme Zen. La mystique. Possibilité d’une synthèse des possibilités humaines. Science et humanités. Nécessité d’un penser majeur. Poésie, reconnaissance et création de réalité. Poésie et métaphysique. Poésie et idéalisme. La poésie comme regard à partir des limites et le poète comme voyant. Heidegger. La fondation de l’être par la parole. Revers, antithèse et recherche d’une troisième dimension poétique. L’irrationnel et le plus que rationnel. La poésie devant l’éthique, l’esthétique et la gnoséologie. Toute poésie est une éthique profonde. La poésie est-elle une « consolation » ? Une aventure nécessaire.
p.14-15
Le poème n’est pas seulement fait de mots. Il est fait, aussi, de silences, comme la musique. Celle-ci n’est pas seulement constituée de sons : le son ininterrompu, permanant, ne fait pas de la musique. Le son et le silence, la parole et le silence. […] Il s’agit de suggérer les choses, de les faire entrevoir. Lorsqu’on fait en sorte que les choses soient présentes par leur absence, c’est alors que les choses sont.
p.22
Guillermo Boido : « L’apparente perte de sens de la poésie moderne parait être liée à cette immersion dramatique dans l’absurde. La poésie serait, alors, en même temps, reconnaissance de l’absurde et de l’anti-absurde. »
Roberto Juarroz : « Il y a dans la poésie, dans le langage, non pas formellement mais de fait, ce que nous savons tous : nous sommes enrobés dans l’absurde, entourés de mystère, nous vivons dans l’antithèse, aimer quelqu’un c’est aussi ne pas l’aimer, vivre c’est mourir, penser c’est ne pouvoir pénétrer cela même que nous pensons. Contraste permanant, opposition permanente, antithèse permanente que nous dissimulons pour ne pas devenir fous.
Roberto Juarroz, Poésie verticale, 1988, (éd. Fayard 1980 et 1989), traduction Roger Munier.
p.13 Préface de Roger Munier : « Dans un poème de Juarroz, au fur et à mesure qu'on progresse, les vérités semblent l'une et l'autre se déduire, en une sorte de parallélisme abolissant, conduisant au troisième terme d'un énoncé prévisible-imprévisible, qui est à chaque fois la réalité une en suspens [...].»
Aller vers le haut n'est qu'un peu plus court
ou un peu plus long qu'aller vers le bas.
6 (Extrait)
Entre la table et le vide
il est une ligne qui est la table et le vide
où peut à peine cheminer le poème.
31
Ce qui importe n'est pas d'unir les bords isolés,
mais de faire l'expérience terminale de leurs extrêmes.
Les extrêmes que nous sentons
se fondent en nous
jusqu'à se convertir en un seul.
Et c'est cela qui import,
bien que personne ne sente plus cet extrême
et qu'il fasse de nous le bord le plus isolé.
50
Le signe n'est pas quelque chose qui se produit entre ses extrêmes,
mais l'annulation de ces extrêmes.
Ce qui se produit entre eux
advient en fait dehors.
Promontoire en forme de vallée
où l'œil comprend sa substance.
Quelquefois seulement
le tout joue au tout.
La chair fermée du silence
étend alors une main.
59 (Extrait)
Tout alors tiendrait en tout,
une main dans une main,
le linge dans la nudité,
la plaine dans la montagne,
la cécité dans l'œil qui voit,
le pied dans le ballon;
le oui dans le non,
l'amour dans l'amour.
66
Passée la moitié de la vie ou peut-être la vie entière,
peu de choses résistent :
le lieu où les parallèles tremblent,
la nuit où un amour mort est à nouveau vivant,
une instance qui n'est pas la lumière, l'ombre ni leurs gradations intermédiaires,
un endroit qui n'est pas le tout moins les autres,
certaines introductions vers le dehors.
Formes de fidélités que nous ignorons,
il n'est possible qu'en elles
de différer un peu l'impossibilité de tout.
227
Nous portons un signe au front
et un autre sur la nuque.
Parfois il nous semble
que devant est le signe de la vie
et derrière celui de la mort.
Mais il est des jours où l'ordre s'inverse.
Et il est d'autres jours encore
où nous portons devant et derrière
le même signe.
De toutes manières,
ce jeu nous prouve
que nous existons entre deux signes
ou pour le moins sous l'un d'entre eux.
Néanmoins,
reste encore une autre possibilité:
qu'il ne s'agisse d'aucun signe
mais de deux points de vue.
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