« On croit que les enfants ne savent rien. C’est à se demander si les grandes personnes ont été des enfants un jour. »
Muriel Barbery, Une gourmandise, Folio, 2000
p. 47 : « Dire de cette chair qu’elle est fine, que son goût est subtil, et expansif à la fois, qu’elle excite les gencives, à mi-chemin entre la force et la douceur, dire que l’amertume légère de la peau grillée alliée à l’extrême onctuosité des tissus serrés, solidaires et puissants qui emplissent la bouche d’une saveur d’ailleurs fait de la sardine grillée une apothéose culinaire, c’est tout au plus évoquer la vertu dormitive de l’opium. Car ce qui se joue là, ce n’est ni finesse, ni douceur, ni force, ni onctuosité mais sauvagerie. Il faut-être une âme forte pour s’affronter à ce goût-ci ; il recèle bien en lui, de la manière la plus exacte, la brutalité primitive au contact de laquelle notre humanité se forge. »
p.72 : « Ce fut un éblouissement. Ce qui franchit ainsi la barrière de mes dents, ce n’était ni matière ni eau, seulement une substance intermédiaire qui de l’une avait gardé la présence, la consistance qui résiste au néant et à l’autre avait emprunté la fluidité et la tendresse miraculeuses. Le vrai sashimi ne se croque pas plus qu’il ne fond sur la langue. Il invite à une mastication lente et souple, qui n’a pas pour fin de faire changer l’aliment de nature mais seulement d’en savourer l’aérienne moellesse. Oui, la moellesse : ni mollesse ni moelleux ; le sashimi, poussière de velours aux confins de la soie, emporte un peu des deux et, dans l’alchimie extraordinaire de son essence vaporeuse, conserve une densité laiteuse que les nuages n’ont pas. »
p.81 : « Puis du curry. Ni trop ni trop peu. »
p.92 : « Qui n’a jamais osé malaxer longuement de ses dents, de sa langue, de son palais et de ses joues le cœur du pain n’a jamais tressailli de ressentir en lui l’ardeur jubilatoire du visqueux. Ce n’est plus ni pain, ni mie, ni gâteau que nous mastiquions alors, c’est un semblant de nous-même, de ce que doit être le goût de nos tissus intimes, que nous pétrissions ainsi de nos bouches expérimentées où la salive et la levure se mêlent en une fraternité ambiguë. »
Muriel Barbery, L’élégance du hérisson, Folio, 2006
p.70 « Faites l’exercice de regarder votre chat et de vous demander comme il se produit que vous sachiez comment il est fait devant, derrière, en dessous et au-dessus alors que présentement vous ne le percevez que de face. Il y a bien fallu que votre conscience synthétisant sans même que vous y preniez garde les multiples perceptions de votre chat sous tous les angles possibles, ait fini par créer cette image complète du chat que votre vision actuelle ne vous livre jamais. »
p.112 « On mange comme on regarde un beau tableau ou comme on chante dans une belle chorale. C’est ni trop ni pas assez : mesuré, au bon sens du terme. Peut-être que je me trompe complètement ; mais la cuisine française, ça me semble vieux et prétentieux, alors que la cuisine japonaise, ça à l’air… eh bien, ni jeune ni vieux. Éternel et divin. »
p.120 « La vraie nouveauté, c’est ce qui ne vieillit pas, malgré le temps. »
p.137 [Règles du jeu de go] « Une des plus belles réussites du jeu de go, c’est qu’il est prouvé que pour gagner, il faut vivre mais aussi laisser vivre l’autre. Celui qui est trop avide perd la partie : c’est un subtil jeu d’équilibre où il faut réaliser davantage sans écraser l’autre. »
p.316 « L’éternité, cet invisible que nous regardons. »
p.343 « C’est peut-être ça, être vivant : traquer des instants qui meurent. »
p.378 « Il faut que quelque chose finisse, il faut que quelque chose commence. »
p.409 « Oui, c’est ça, un toujours dans le jamais. […] Pour vous je traquerais désormais les toujours dans le jamais. »
Crédit photo Boyan Topaloff (editions-observatoire.com)
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