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Folie Douce

Par Lauren Bastide - Episode #14

« Survivre au silence qui suit le traumatisme » avec Gaël Faye


LB : Vous êtes métisse, vous êtes binational, vous faites partie de ces fameux binationaux dont malheureusement on parle beaucoup ces derniers temps parce que le programme du RN à des projets bien spécifiques pour les personnes binationales. Du coup j’ai fait quelques petites recherches, c’est un statut qui concerne quand même 5,5 millions de personnes en France (Dom Tom et expatriés compris), donc ça fait quand-même beaucoup, beaucoup […] Vous dites souvent que finalement tout le monde pense que c’est être moitié quelque chose, moitié l’autre, et qu’en réalité c’est être 100% deux choses et c’est peut-être quelque chose qui peut entrainer une forme de difficulté psychique d’avoir en permanence ces deux identités. Est-ce que vous pensez qu’une partie du mal-être que vous pouvez ressentir, au-delà de l’histoire dont vous êtes l’héritier peut aussi venir de cette double identité permanente ?


GF : Oui, je pense que ça peut venir de là, surtout quand dans la famille, vraiment dans la cellule familiale on met une frontière entre les deux cultures. Je pense qu’il y a des couples qui arrivent à faire fusionner leurs cultures, à ne pas créer de hiérarchie entre les cultures, à faire en sorte que, voilà, transmettre de façon apaisée et naturelle. Ce que je remarque, c’est que beaucoup, beaucoup, beaucoup de couples mixtes – et inconsciemment souvent – créent une hiérarchie entre les deux cultures donc il y a comme une culture dominante ou légitime et une culture exotique. Et moi je sais que mes deux cultures m’ont été transmises de cette façon-là, c’est-à-dire que l’on a considéré que parler français était plus important que de parler kinyarwanda, on a considéré que (je parle de mes parents) ils ont considérés que la culture française était plus légitime que la culture rwandaise et donc ce qui fait qu’après quand on grandit, qu’on sort de l’enfance, qu’on arrive dans l’adolescence, la société, les autres, en dehors de la cellule familiale nous renvoient, quand on est dans un des pays à l’autre culture et inversement. On nous dit « tu n’es pas suffisamment ceci, t’es pas suffisamment cela », et si déjà on ne marche que sur un pied, enfin que les deux jambes ne sont pas ancrées de la même façon, hé bien on a déjà ce déséquilibre et on nous rajoute au déséquilibre, la société, le discours ambiant, rajoute à ce déséquilibre. Et on nous demande en permanence soit de faire allégeance – d’ailleurs c’est ce que disent nos amis du rassemblement national, c’est des problèmes d’allégeance en fait, on ne peut pas avoir deux parties, parce qu’en cas de guerre, qu’est-ce que l’on fait ? Voilà, c’est vraiment ça, c’est la grande question de l’allégeance. Ce qui est absurde, on ne demande jamais à un enfant de choisir entre son père ou sa mère. Hé bien voilà, pour moi c’est absurde, comme si c’est quelque chose que l’on pouvait saucissonner, qu’on pouvait partager. Et il y a ça aussi dans les couples, dans la structure mentale, quand on nous dit on est 50/50, ça nous fragmente voilà, ça nous fragmente et ça nous renvoie aussi au fait que nos deux parents sont eux 100% et qu’un coup nous on est fragmenté.


LB : Oui, on est deux petits morceaux de quelque chose.


GF : Donc je pense qu’après on peut aussi transmettre de façon harmonieuse les cultures. Donc ça c’est un travail je pense des parents, mais c’est parce que souvent on n’en n’a pas conscience et on n’en parle pas aux parents, c’est ça qui est terrible. Les gens se disent « ha on a des métisses, c’est trop beau les métisses, c’est l’avenir de l’humanité », mais ça c’est des phrases creuses, parce qu’il y a le métissage et il y a l’expérience vécue du métisse, et c’est deux choses différentes. Le métissage c’est bien, on peut vendre des habits, faire de la pub avec le métissage, ça a l’aire très beau comme ça, mais l’expérience vécue du métisse hé bien c’est autre chose, c’est le racisme, c’est le renvoie à toujours l’autre. On est toujours la minorité, en opposition, donc c’est pour ça que je dis que le métissage ce n’est pas l’addition, c’est la fusion. Et donc voilà, être 100% de tout ce qui nous constitue c’est une façon de résoudre l’équation je pense.  



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