Pacôme Thiellement, Tu m'as donné de la crasse et j'en ai fait de l'or, Massot éditions, 2020.
p.16 : "[...] je ne vois toujours pas ce qui est pourtant évident et devrait me sauter aux yeux. Pour le voir il faudra que je vive à la fois l’échec et la réussite, la non-publication du livre et la publication du livre, la communauté d'artistes et sa dissolution. Bref : pour le voir il faudra que je vive la victoire et l'échec comme des puissances jumelles, réversibles et communicantes. Ainsi, et seulement ainsi, je me rendrai compte que le problème est ailleurs, et que l'enfer est toujours susceptible de se réinstaller au moment où on s'y attend le moins.
p.26-27 : "Ce que vous n'aimez pas, ne le faites pas, dit aussi Jésus dans l’Évangile de Thomas. Nous savons que nous aimons. Nous savons peut-être même ce que nous aimons et, parfois, pourquoi nous l'aimons. Mais nous n'aimons pas tellement aimer c que nous aimons. La preuve, c'est que nous n'y passons pas beaucoup de temps. Nous passons infiniment moins de temps à aimer ce que nous aimons qu'à ne pas aimer ce que nous n'aimons pas. Et ce temps nous indique que nous sommes loin d'aimer ce que nous aimons autant que nous n'aimons pas ce que nous n'aimons pas.
Nous aimons, mais nous n'aimons pas beaucoup aimer. Nous éprouvons un plaisir incroyablement plus intense à ne pas aimer ce que nous n'aimons pas plutôt qu'à aimer ce que nous aimons. Nous aimons énormément ne pas aimer. Nous avons avons avec ce que nous n'aimons pas une relation secrète qui est de l'ordre de la passion brûlante. Nous sommes tellement plus ardents à ne pas aimer ce que nous aimons. Tous les jours, nous trompons ce que nous aimons avec ce que nous n'aimons pas."
p.29-30-31 : "Le bonheur n'est jamais acquis. Ce n'est jamais un état durable. C'est un moment. C'est l'instant de la métamorphose. Cela dure très peu de temps et c'est plus important que tout. C'est même parce que cela dure très peu de temps que c'est plus important que tout. C'est parce que ce n'est pas un état durable que c'est un état souhaitable. C'est d'ailleurs pourquoi les paradis sont tellement ennuyeux. Une éternité passée à se gaver de manne et à vivre dans l'harmonie n'a vraiment aucun sens. Un paradis qui dure toujours est chiant comme un dimanche après-midi qui n'en finit pas.
Le bonheur est dans la conquête. Le bonheur est dans le mouvement. Le bonheur est dans l'aventure extraordinaire de se sortir d'un coup, par un saut, une pirouette, un twist, d'un état de malheur. Et c'est pourquoi le bonheur devrait être une catégorie étique: être amoureux, c'est mettre en échec le Démiurge et sa machine à culpabiliser inlassablement l'humain. Etre heureux, c'est s'extraire du cercle vicieux qui fait que nous sommes malheureux et que nous rendons d'autres gens malheureux à leur tour, ou que nous culpabilisons autrui du malheur dans lequel nous sommes tombés. Etre heureux, c'est sortir du cycle infernal où nous faisons payer à des innocents les injustices dont nous sommes victimes.
[...]
Le bonheur n'est pas une chose que l'on obtient. Le bonheur, c'est l'état dans lequel on se trouve lorsqu'on se relève et qu'on transforme quelque chose de mauvais en quelque chose de bien. Le bonheur est un art de la guerre.
Et c'est pourquoi le bonheur a besoin d'une stratégie. Comme dans les Trente-Six Stratagèmes: "Les mouvements des deux camps se répondent en symétrie jusqu'à ce que dans une faille apparaisse l'occasion." Le bonheur provient toujours d'une bataille gagnée contre le Démiurge et pour cela nous devons être sans cesse aux aguets. Un jour, une heure, une minute, apparaît l'occasion; il faut s'en saisir: "L'occasions est la rencontre du destin et de l'homme, et l'instant où se décident victoire ou défaite." (Tang Zhen)."
[...]
Sans malheur, pas de bonheur. Le bonheur n'est pas le contraire du malheur: il n'a pas d'autre goût, une autre odeur, une autre texture. Il est indissociable du malheur dont il dépend et qui comme la matière du sol sur laquelle il va pousser: le premier est l'engrais du second.
Pacôme Thiellement, La victoire des sans roi, puf, 2017 (éd.2021 )
p.70 : Les manichéens considéraient que la Lumière et les Ténèbres étaient des principes qui étaient séparés dans le moment initial et se sépareraient à nouveau au moment final mais que le moment médian était toujours le lieu du « mélange » : qu’il y avait donc de la lumière et de l’obscurité dans chaque doctrine, de la lumière et de l’obscurité dans chaque Homme, de la lumière et de l’obscurité dans chaque tradition.
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